
Par “liberté d’expression », je veux simplement dire « qui suit la loi ». Je suis contre la censure qui outrepasse la loi. Si les gens veulent moins de liberté d’expression, ils demanderont aux gouvernements de voter des lois en ce sens. Donc, outrepasser la loi est contraire à la volonté du peuple.
Elon Musk – 26/04/2022 sur Twitter, depuis son smartphone
Elon Musk, le multi-milliardaire, créateur de Tesla et SpaceX, vient de faire l’acquisition de la plateforme Twitter pour la somme de 44 milliards de dollars.
Aussitôt, le nouveau patron a du s’expliquer sur sa conception de la liberté d’expression qui peut désormais s’imager concrètement par deux faits : la citation remplie d’incohérences en début de ce billet, et la réactivation du compte de Donald Trump.
Elon veut une liberté d’expression qui suive la loi.
Mais quelle loi ? La loi de quel pays ?
S’il avait pris le temps de réfléchir à son propos, derrière un ordinateur par exemple, plutôt que depuis son smartphone entre deux meetings, peut-être aurait-il expliqué sa pensée de manière plus complexe.
Les plateformes internationales numériques posent le problème de la territorialité et de la responsabilité des citoyens car il n’existe pas de loi mondiale qui puisse condamner de la même manière un internaute vénézuélien et un autre internaute du Burundi.
C’est le même problème que pour le piratage informatique : lorsqu’un hacker russe (au hasard) passe par un serveur espagnol pour pirater un frigo connecté japonais afin de lancer une attaque de masse sur une banque suédoise, qui est responsable de quoi ?
Surement pas le frigo japonais.
Qu’en est-il lorsque ce pirate est un robot de hacking ?
Il en est de même avec la liberté d’expression : comment réguler la liberté d’expression de tous les trolls, complotistes, hackers et robots logiciels en tout genre ?
Donc, déjà, l’argument de la loi ne tient pas.
Ensuite, notre ami Elon est contre « la censure qui va au-delà de la loi« .
Intéressant, C’est-à-dire ?
Lorsque Donald Trump et ses fans répandaient de fausses informations autour de l’élection présidentielle qui leur avait été volée, ou lorsqu’ils disqualifiaient ad hominem des journalistes pointant des contradictions, sans aucun contre-argument, ou lorsqu’ils souhaitaient faire croire que Joe Biden faisait partie d’un réseau pédophile, est-ce que le fait de vouloir les censurer était en dessous de limites de la loi, ou au-dessus de la loi ?
Et d’ailleurs, qui décide de ce qui est au-dessus ou en dessous de la loi ?
Apparemment, c’est Elon.
Car le fond du problème est bien là : Elon veut du pouvoir, sans limite et sous toutes ses formes. Dans la pure logique américaine. « Tout est possible, vous le valez bien, vous y avez droit, le monde est à vous« .
Elon veut. Il veut prendre possession du ciel avec des milliers de satellites, de l’espace qu’il imagine comme une mine de ressources infinies, il veut décider de quand et comment aller sur Mars, il souhaite créer des « transhumains » et vaincre la mort en finançant la recherche sur l’immortalité initiée depuis quelques années en Californie, on s’en serait douté.
Hallelujah my friends ! Pray the Lord, Pray the Lord.
Les plus psychologisants des analystes économiques ou industriels attribueront sûrement cette volonté insatiable de posséder du milliardaire comme venant du fait qu’il a du survivre à la misère, déshérité par son père, et qu’il a vécu le régime sud-africain de l’apartheid comme une véritable injustice.
Mais ce storytelling ne change rien au fait que la liberté d’expression implique aussi le devoir de se taire, en toute responsabilité citoyenne. La liberté d’expression ne peut signifier que « tout le monde peut dire tout ce qu’il veut quand il le veut ».
Mon petit Elon, il me semble que tu ne prends pas toutes tes responsabilités lorsque tu proposes d’ouvrir la boite de Pandore tout en te réfugiant derrière le fait que : « vouloir une régulation des propos, c’est vouloir moins de liberté d’expression« .
Quelle belle manipulation tout de même ! On n’avait pas trouvé mieux depuis la déclaration de Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement Macron I (pas Macron 1er ok ?), en début de pandémie en 2020, lorsqu’elle avait voulu expliquer que s’il n’y avait pas de masques, c’est parce que les gens ne savaient pas les utiliser.
Retourner la faute sur celui qui manifeste une contestation est quand même un acte qui va à l’encontre de la liberté d’expression non ?
Pas pour Elon apparemment puisqu’il se présente comme un libérateur face à des gens qui souhaitent moins de liberté : « Vous voulez plus de régulation ? C’est donc que vous voulez moins de liberté ! Alors que moi, j’offre toutes les libertés ».
Et pourquoi « offre-t’il » toutes les libertés ? Car lui-même il les veut toutes. C’est la logique américaine ultra-libérale : parce que je veux pouvoir faire tout ce que je veux, je deviens le défenseur intraitable de la liberté absolue.
Vous imaginez Twitter avec moins de censure ?
Notre président pourrait imposer comme vision des choses que tout ce qui lui est reproché suite à son 1er quinquennat n’est en fait le fruit d’une cabale. Marine Le Pen pourrait prétendre que sa défaite est en fait une victoire et qu’on lui a volé l’élection par pure tricherie. Jean-Luc Mélenchon pourrait prétendre que malgré trois défaites consécutives à l’élection présidentielle, les français peuvent l’élire premier ministre. Et Francis Lalanne pourrait se croire autoriser à dire qu’en fait la Russie est en train de libérer l’Ukraine.
Je sais : c’était déjà le cas avant qu’Elon Musk ne rachète Twitter.
Je vous laisse donc imaginer ce que l’avenir nous réserve maintenant qu’il est aux commandes.