Cher Nicolas.
Vous voilà désormais dans la tempête.
Que n’avez -vous pas dit en invitant le peuple français à vivre au-delà de ses propres peurs !
Vous voilà désormais qualifié d’égoïste alors que justement vous invitez chacun à se rapprocher de l’autre et à ne pas trouver de prétexte pour ne pas vivre pleinement chaque seconde du temps qui nous est offert sur Terre.
Société du raccourci intellectuel, du jugement suprême digital et de l’immédiateté pulsionnelle, personne n’a souhaité prendre un peu de recul ou essayer de comprendre ce que vous tentiez de dire.
Je fais front avec vous sur l’idée que vivre ce n’est pas que profiter lorsque tout va bien, mais que c’est aussi avancer coûte que coûte lorsque les nuages grondent.
Je connais votre inquiétude pour nos enfants qui vont grandir avec le souvenir d’un masque sur le visage ou du manque d’embrassade avec leurs proches. Des enfants qui connaîtront certaines frustrations dès le plus jeune âge.
Je connais par ailleurs votre détermination à ne baisser ni le regard ni l’âme face à toute entrave à la liberté de respirer, de marcher, d’embrasser et d’aimer. En pleine période du procès des attentats de Charlie et au lendemain d’une nouvelle attaque fanatisée, s’éloigner les uns des autres et se renfermer pour diminuer l’impact de ce virus nous rappelle que nous menons plusieurs combats pour la liberté et la survie en même temps.
Je comprends tout comme vous, et seulement depuis peu, moi qui ai eu si peur de vivre pleinement toute ma vie, que vivre c’est assister pleinement à chaque seconde de notre existence même si celle-ci doit se terminer la seconde qui suit.
Je partage donc votre vision des choses.
Pourtant, je voudrais apporter un angle de perception personnel à votre vision. Voyez-y une nuance complémentaire, et non pas contradictoire.
Cette perception s’est offerte à moi lorsque je me suis reconnecté à ces histoires que vous avez sûrement entendues vous-mêmes. Je parle là de l’histoire de nos parents ou grands-parents qui ont vécu soit l’occupation, soit l’exil et qui, enfants, n’ont pas pu avoir tout ce qu’il voulait lorsqu’ils le voulaient. Ou du moins comme ils le voulaient. La France du passé est souvent idéalisée mais la rudesse et le manque étaient là. Le monde n’était pas présenté comme une corne d’abondance aux enfants. Certes l’insouciance était de mise, mais elle se rabougrissait parfois lorsqu’ils devaient revoir leurs espoirs à la baisse en espérant des jours meilleurs.
Qu’ont-ils fait lorsque l’ombre fût partie et qu’ils furent devenus adultes ?
Ils ont fait ce que vous nous invitez à faire.
Ils ont vécu pleinement avec la même intensité que j’ai trouvée dans votre appel. Ils ont goûté la vie sans peur du lendemain. Ils étaient heureux d’être là. Ils ont pris des risques. Ils ont créé et nous ont donné la société française que nous connaissons. Ils ont élevé des gens comme vous, comme moi en leur passant le message que rien n’est acquis dans la vie et qu’il faut savoir profiter du temps qui nous est offert.
Bien sûr, nous nous en foutions. Parle toujours, parle toujours.
Ceci dit, ce souvenir me fait me poser la question suivante : peut-être nous sommes en train de vivre le même genre de période d’empêchement ? Au sortir de cette épreuve, saurons-nous à nouveau vivre pleinement tout en gardant le souvenir que cela pourrait nous être enlevé ?
Vous souvenez-vous Nicolas ? Dans le monde d’avant, certains hypocrites plaidaient pour « le retour aux vraies valeurs, au collectif ». « Et bien nous y voilà ! » pourrions-nous répondre. Nous sommes dans le collectif, le vrai. Nous devons faire front ensemble. Comme ces réfugiés qui sont nos contemporains et qui traversent les mers sur de frêles esquifs. Car le collectif n’est pas qu’un mirage. Ils nous le disaient nos vieux : ce n’est pas toujours drôle le collectif. Ca pue le collectif. Ca frustre le collectif. Nos parents, nos grands-parents nous l’avaient dit. Mais une fois de plus, nous nous en foutions.
Mais là, nous y sommes.
Restons optimistes : la crise actuelle pourrait nous permettre de vivre un collectif réaliste où il faut tenir, se soutenir, traverser la tempête sur le bateau de notre société pour profiter de la terre d’accueil qui nous apparaîtra bientôt.
Qu’allons nous laisser à nos enfants ? Jusqu’à présent nous semions des « Y a qu’à – faut qu’on » complètement irréalistes. Des sales habitudes de personnes « mondialisées » qui pensent le monde dans des espaces zen en sirotant un café latte sans jamais lâcher sur leurs petits avantages personnels.
Avec cette crise nous pourrions laisser autre chose à nos enfants. Une réalité qui n’est pas toujours agréable mais qui rassemble et donne envie de vivre pleinement une fois la tempête passée.
Nous pourrions leur laisser le sentiment que le bonheur ou la sérénité sont possibles mais qu’elle se méritent, ne nous sont pas dues et surtout, qu’elles ne sont jamais acquises éternellement.
Deviendrais-je vieux comme nos anciens Nicolas ?
Peut-être pourrions-nous transmettre la résilience, la patience, l’espoir intérieur comme comme le font encore certains peuples bombardés quotidiennement de nos jours. Si vivre, c’est se jeter dans le flot de notre société sans peur des conséquences, cela signifie donc que vivre c’est aussi traverser la vie avec tout ce qu’elles nous apporte, le bon comme le mauvais.
Vous et moi sommes de la génération de la Démocratie acquise, de la Sécurité sociale éternelle et de la consommation comme point de repère. Nos aînés et nous-mêmes avons été peut-être un peu trop gourmands.
Mais qui peut leur en vouloir ? Après le manque, il est légitime d’en vouloir un petit peu plus que la normale.
Peut-être pourrions-nous expliquer à nos enfants que nous ne pouvons pas tout faire ou tout avoir parce que nous sommes accrochés désespérément à notre désir de vivre ? Mais nous pourrions ajouter que ce désir de vivre, cette passion fougueuse qui comme moi vous anime, c’est notre fil d’Ariane. Celui qui nous permet de tenir un cap dans l’obscurité. Aujourd’hui, nous sommes dans la tempête. Le mal au coeur est permanent et la peur nous étreint. La tristesse aussi, celle qui nous ramène aux compagnons fidèles perdus en route et à notre espoir qui parfois vacille.
Pourtant, dans la tempête, la brutalité du quotidien nous amène à ramer, à écoper et à tenir bon dans l’obscurité.
J’ai envie de vivre comme vous Nicolas et j’ai compris votre cri du coeur.
Car c’est bien de cela dont-il s’agit non ? Ce que j’ai entendu dans vos mots c’est « J’en peux plus putain de merde, je ne veux pas de cette vie-là ! Arrêtons d’avoir peur ! » et non pas un injonction qui aurait signifié « Rien à foutre de ceux qui meurent ».
Ce sont vos juges, bien trop pressés à vous dégommer, qui pensèrent ainsi. Ils se sont fait le plaisir de saisir le premier raccourci intellectuel à portée de neurone afin de prendre vos mots au premier degré sans vouloir y déceler l’intention cachée derrière.
Je vous sais humaniste et je sais que vous ne supporteriez pas l’idée que notre insouciance juvénile nous amène à voir des gens mourir littéralement chez eux ou dans les rues comme ce fût le cas dans certains pays, parce que notre système de santé ne pourrait plus les accueillir face à une trop grande affluence de malades.
Je suis comme vous Nicolas. Je n’en peux plus.
Je n’en peux plus de ne pas jouer sur scène, de ne pas embrasser mon fils, de ne pas serrer mes parents dans les bras. J’en ai marre de ne pas danser, de ne pas aller à un concert ou simplement de boire une bière à un comptoir.
Mais je me souviens que nous sommes dans la tempête. Qu’il nous faut ramer. Écoper. Tenir bon dans l’obscurité.
J’essaie au mieux de traverser ma frustration et ma tristesse. J’essaie de leur donner du sens tout en restant connecté à mon désir de vie. L’envie est là. Je me permet juste de la différer dans le temps.
Je ne veux pas passer ma vie à éviter la mort. Mais je ne veux pas contribuer à plus de malheur pour l’instant.
Les jours meilleurs viendront. Très bientôt.
J’ai l’espoir et le désir de vivre cette libération à la hauteur de votre invitation.
Je la vivrai pour moi, de manière bien égoïste, mais aussi pour tous ceux qui ne pourront plus le faire.
Lorsque ce jour-là viendra, je ne sais pas si vous penserez à moi.
Mais moi, je penserai à vous.
Bien à vous.
Laurent.
Merci à vous d’avoir su si brillamment éclairer le propos de Nicola Bedos. Moi aussi j’ai mal à mon pays qui ne sait plus réfléchir, qui se rue sur les premières peurs venues de crainte de s’ennuyer.
Mère d’un fils de 23 ans j’ai peur pour lui. Peur que, à bas bruit, l’idée de liberté que nous avons cru bon de lui transmettre ne s’étiole sans grande protestation tant le droit à la santé pourrait devenir un devoir de santé.