« Belle année 2020 ». C’est ce message que j’ai pu avant-hier lire sur un panneau 4*3.
Je me suis dit « Non, cette fois je ne peux laisser passer cela, j’en ai marre ».
Oui, c’est important d’avoir de vrais combats dans la vie.
Non, sérieusement, je me suis demandé ce que cela signifiait que de passer une « belle » année.
C’est comme le fameux « Belle journée » que l’on reçoit généralement par mail au travail.
Vous imaginez l’ambition ? Il faut que la journée soit belle.
Sujet de philo : Définir le beau. Vous avez 3 heures.
Normalement, on se souhaite une bonne journée. Comme un bon repas.
On ne s’est jamais souhaité un « beau » repas.
C’est normal, le mot « bon » renvoie à l’univers des sensations, d’abord celui du goût, mais aussi à d’autres niveaux du monde physique.
Lorsque l’on souhaite une « bonne » journée, c’est une journée chargée d’énergie, d’intensité, de moments forts, de satisfaction que l’on souhaite.
Alors bien sûr, cela n’est pas toujours le cas.
La journée contiendra parfois de la frustration, du doute, de la désespérance, de la démotivation.
Bref, une journée humaine.
Tout cela sera ancré dans des sensations concrètes, émotionnelles et donc connecté à un quotidien terrestre.
Mais qu’en est-il d’une « belle » journée ?
Non, vraiment je vois pas.
Nous entrons là dans le domaine de la beauté. Du superficiel donc ?
Remarquez, ça colle bien à notre époque.
La personne qui nous souhaite une « belle » journée nous souhaite donc une journée d’apparences, une journée idéalisée et fantasmée.
Belle en apparence mais pas connectée à ce que l’on vit vraiment.
Comme dans un rêve ou une image d’enfance, l’interlocuteur, chargé d’une pseudo-bienveillance dégoulinante, nous souhaite d’avoir une journée de surface, quasiment impalpable : très belle, très douce, très cosy, très chaleureuse, très jolie, très mimi et beeeuuuuurrrrrrrrrrrk…
Il n’y a pas plus puérile et manipulateur que ce genre de discours.
Les gens sont parfois tendus, stressés ou frustrés mais ils vous souhaitent une beellllllleeeee journée.
Cela me fait penser aux membres de secte lorsqu’ils se croisent « Aoum, oh oui frère, belle journée à toi ».
Une « belle » journée n’est finalement qu’un moment issu d’un fantasme, où tout se passerait bien mais dans une forme de légèreté aérienne.
Les gens qui nous souhaitent une « belle » année, ou une « belle journée » sont comme des enfants apeurés par de vraies sensations.
Je les connais bien, je les ai côtoyés quand je pratiquais le coaching.
Ils savent parler d’émotion mais ils ne savent pas les traverser.
Ils ont le bagage émotionnel d’une poutre.
Ce sont souvent des gens qui ne se confrontent pas vraiment aux réalités de notre monde.
Ils le vivent à distance, par procuration, au travers de livres de développement personnel ou de « keynote » TED.
Ils vous parlent de « collectif » mais travaillent seuls chez eux.
Ils idéalisent une vie qui ne cognerait pas. Et oui, la vie ça cogne aussi parfois.
Ils pensent leurs émotions, mais ils ne les traversent pas toujours réellement.
Alors, bien sûr, vous pourriez vous dire : « Mais qu’est-ce qu’on en a à foutre Laurent ? »
Comme je vous comprends.
Deux minutes, j’ouvre mes chakras.
Là où je veux en venir c’est que tout ce fantasme de belle vie, de belle année, de belle société est en train de se répandre au point que tout ce qui n’est pas parfait, devient un problème.
Nous touchons ici le coeur de la bienpensance et du politiquement correct. Si c’est un peu rugueux et pas assez lisse, on passe directement au procès d’intention. « Il a mis le mot homme avant le mot femme, misogyne ! Il a dit noir, raciste ! Ah non mince il parlait d’un tablette de chocolat. Arrghhhh, ce n’est pas possible. Il faut que ce soit parfait, parfait, je suis choqué.e, je suis outré.e, c’est une honte, une honte. Je m’insurge. Il faut punir. ».
Calme-toi. Même au pays des bisounours, la perfection n’existe pas mon enfant.
Au pays de la perfection, les « belles journées » sont reines.
Nous pourrions être tentés d’imaginer que la vie se passe réellement comme lorsque nous regardons une émission sur France 2 qui montre une star qui quitte une tribu du bout du monde, après avoir vécu quinze jours avec elle.
Ceci n’est pas une émotion. C’est juste de la sensiblerie.
Une émotion, une vraie – la joie ou la tristesse – peut vous terrasser physiquement.
Mais là, on n’est pas atteint physiquement. On se dit quoi devant ce reportage ? « ohhhh, c’est beau ».
Et nous voilà de retour dans l’univers du beau, du superficiel.
Et cela se répand à tout, avec l’idéalisation, la culpabilité et la performance qui vont avec.
On ne boit plus du café au lait. Maintenant, c’est du Café Latte ou bien « un délice caféiné révélateur de plénitude ».
A suivre dans REGARD (sur une société qui se maltraite)